TEMOIGNAGES
« je vis avec mon mari depuis 16 ans .En avril 2002 il a eu un grave accident de la route en revenant du travail, lui aussi après un mois de coma il a été qualifié de miraculé par les médecins: fractures de la colonne, des machoires poignet... et lésions cérébrales multiples. il ne se souvient pas non plus de l'accident, il parle, marche et vit apparement comme tout le monde, mais il a graves troubles du comportement, il a changé de caractère, on dirait qu'il cherche à se détruire. Tout est allé crescendo, à l'hôpital il n'ont pas vraiment fait attention à la prise en charge neuro-psychiatrique:"il s'est réveillé,il bouge, il aurait du resté a l'état végétatif...". aujourd'hui, 4 ans après ma famille est au bord de la rupture, mon mari se sent mal partout, rien ne le satisfait, il est déprimé, refuse de le reconnaitre. en lisant votre témoignage, le mot muraculé m'a fait repartir 4 ans en arrière.je pense qu'aujourd'hui votre mari a presque ou fini sa réeducation "physique" mais faites en sorte que le côté neuro et psychologique ne soit pas laissé de côté même si il n'a pas l'air d'avoir de symptôme.mon mari se porte physiquement comme vous et moi, a creer son entreprise car ne peut plus travailler longtemps avec la même personne. je pense qu'il faut bien travailler sur l'acceptation de l'accident pour pouvoir revivre bien »
Date: 14 Février 2011
Bonjour Francine,
Je m’excuse de t’écrire si longtemps après notre premier entretien.
Je crois que j’ai compartimenté ma vie pour la rendre plus supportable. Il y a ma vie liée à l’accident, et celle que j’essaye désespérément de reconstituer sans tenir compte de tous ces paramètres avilissants.
Alors je m’octroie des moments pour vivre l’une au dépend de l’autre, et cela inclus un facteur temps important.
Ce premier entretien… Je suis contente que mon père m’accompagne, même si je ne sais pas comment cela ce passera.
Je me suis trompée de jour, mais tu acceptes quand même de quitter ton travail pour me voir. Si peu de gens prennent le temps de me comprendre et de donner de l’importance à ce que je vis. C’est terrible parce que cette simple réflexion me rend très émotive.
J’ignore comment nos rapports s’établiront, et puis j’attends tellement de cette rencontre ! Mais j’ai peur aussi. Cela fait plus d’un an et demi que je n’ai rencontré aucun appui réel (hormis Christophe qui m’a guidé jusqu’à toi), alors j’ai appris à supporter toute cette incompréhension seule. Je suis épuisée, physiquement bien sûre, mais mentalement aussi. Toi tu es mon dernier espoir, je sais qu’après toi il n’y aura personne, ce que tu représentes via l’AFTC c’est le dernier maillon de ma chaîne. C’est terrible comme rôle !
Tu arrives, et puis je me sens bien chez toi. C’est très important cet aspect extérieur des choses, elles traduisent si bien ce que nous sommes. Je crois que je suis en confiance.
Pour la première fois depuis l’accident je n’ai plus à me battre pour expliquer ce que j’ai, ce que je vis, ce que je ressens. C’est toi qui en parle, qui m’explique, et qui l’explique à mon père, et ce malgré toutes ses réserves. C’est un tel soulagement.
Tout ce que je traverse n’est pas le produit de mon interprétation défaillante, d’une prétendue paresse, ou d’une inaptitude sociale liée à une possible maladie mentale.
Mes difficultés à vivre sont liées à ce traumatisme crânien auquel personne n’accordait d’importance, ou si peu.
Je repars, dans la voiture je suis épuisée, je n’arrive pas à parler à papa. J’ai tellement mal à la tête, devant, à gauche, je ne peux plus réfléchir. Mais je me sens bien, et apaisée, parce que tu as répondu à toutes mes interrogations, parce que maintenant j’ai des clefs pour avancer, comprendre, et ma famille aussi.
En arrivant chez moi je me suis allongée, et j’ai lu ce livre que tu m’as prêté, des écrits de traumatisés crânien et de leur famille. C’est tellement dur, ces histoires sont souvent bien plus dramatiques que la mienne. Je n’ai pas fait de coma, mon corps n’est pas immobilisé, et pourtant je retrouve ce que je traverse via quelques phrases, un peu partout dans ce livre. Et puis je découvre que les séquelles d’un trauma léger peuvent aussi rester à vie. J’ai beaucoup, beaucoup pleuré ce soir-là. Je ne sais pas si je rentre dans ce cas de figure, et je ne le saurais pas avant mon rendez-vous aux Herbiers début avril, mais je veux le savoir, parce que pour avancer, j’ai besoin de connaître mes limites immédiates et futures. Partant de là je pourrai vivre en adéquation avec mes capacités, donc plus sereinement.
C’est très dur d’admettre que l’on a pu vivre avec une liberté totale, la capacité infinie d’entreprendre, le pouvoir de ne compter que sur soi et son propre jugement en toutes situations, une communication aisée. Je n’avais pas de limites, j’ai fait tout ce que j’avais envie de faire pour créer une vie qui me correspondait, défendre mes idéaux, m’entourer de personnes qui partageaient cette énergie et ces ambitions, partout dans le monde. J’ai appris à me libérer des carcans de la société française pour regarder plus loin, parce que ça me correspondait.
Et tout s’est effondré, comme un château de carte, et je ne sais plus avec quel ou quel morceau de moi je peux rebâtir mon avenir. En quelles cartes puis-je me fier ?
Je ne crois pas que les traumatisés crâniens soient moins intelligents que les autres. Je ne suis pas sûre de savoir ce qu’est l’intelligence, pour moi c’est cette capacité que nous avons d’observer, d’analyser et d’en tirer des réflexions. C’est une ouverture d’esprit, et une part de mémoire aussi.
Voilà, cette mémoire est défaillante, cette défaillance nous fait perdre confiance en nous, notre capacité de communication déjà affectée, s’étiole, nous nous isolons. Mais nous continuons à observer, à analyser, à réfléchir. Simplement nous avons perdu les codes qui nous permettaient de mettre en pratique nos réflexions, de les conserver en mémoire, de les rendre intelligibles pour les autres. Notre monde ce rapproche de celui de l’autisme. Et pourtant nous nous souvenons de ce que nous étions avant. C’est ce qui nous aide et nous desserre aussi. Cette mémoire là, celle d’avant, nous conforte dans l’idée que notre vie était forte, importante, nos capacités illimitées. Au regard de ce que nous vivions, le présent devient tellement sombre ! Et le futur tellement incertain. Avons nous l’espoir de retrouver ce qui a été brisé ? Pouvons-nous croire que nos vies futures seront même meilleures qu’elles ne l’étaient avant l’accident, même si cela demande une forte capacité d'adaptation?
La suite… Peut-être as-tu compris en me voyant que j’aimais bien m’habiller. J’ai toujours aimé ça, mais depuis un an et demi, c’est devenu une forme de thérapie pour moi.
A l’hôpital, j’ai prévenu l’homme que je fréquentais depuis quelque mois de ce qui m’étais arrivé. C’était 2 jours après l’accident, je n’ai jamais eu de nouvelles de lui. Quelques mois après il m’a avoué qu’il avait eu peur ! Mais le mal était fait, j’étais temporairement défigurée, tout mon corps me faisait souffrir, et ma tête, n’en parlons pas. Toutes les fois ou je croisais un miroir, j’éclatais en sanglots, tout ce temps ou je ne pouvais pas m’assoire, simplement me redresser dans mon lit, me laissant roulée vers le sol pour me pouvoir me lever ensuite, les cicatrices, les kilos superflus dû à l’inactivité, tout ça m’a fait tellement souffrir. Parce que je me disais que personne ne voudrait plus jamais de moi si laide et douloureuse. Qu’il n’y avait personne pour aimer encore ce corps, que cette phobie de l’abandon que j’ai toujours un peu traîné avec moi, j’étais en train de la vivre avec tellement de violence, et d’incompréhension.
J’avais raison, je n’ai plus jamais été bien dans les bras d’un homme.
Un peu instinctivement je me suis mise à fréquenter assidument la boutique Vintage de Fabienne, à Rouen. On a sympathisé vraiment, et puis même si mes moyens étaient extrêmement réduits, essayer des vêtements chez elle, avec le regard qu’elle avait, c’était toujours de très bons moments. Je me réappropriait mon corps avec goût et originalité, grâce à elle. Je me suis créer le dressing incroyable que j’avais toujours rêver d’avoir, avec des pièces pour chaque occasion de la vie, de très belles pièces que je porte quotidiennement. Une thérapie instinctive.
Il y a trois semaines, Fabienne m’a mise en relation avec des amis à elle, Nico et Sarah, qui tiennent une très belle boutique vintage à Paris. Ils avaient mis en place un nouveau magasin à Bruxelles, et cherchaient une responsable pour le tenir.
Le contact est très bien passé entre nous, ils savaient que je n’avais jamais fait de vente auparavant, mais sur les conseils de Fabienne, ont voulu me faire confiance.
Pour moi c’était inespéré, repartir à l’étranger, avec une certaine autonomie mais des patrons pour gérer les stocks, la communication et le surplus de choses qui aurait rendu ce travail impossible, rencontrer de nouvelles personnes qui ignorent tout de mon passé, me reconstruire loin de cette ville, avoir un vrai salaire, travailler dans un univers qui me correspond tellement… Et puis la vente ce n’est pas un travail trop complexe.
Bien sûre j’avais peur de ne pas tenir le coup, d’être très vite épuisée, d’oublier des choses, d’avoir trop mal à la tête pour pouvoir être vraiment compétente. Mais d’un autre côté, c’était comme une chance qui s’offrait à moi, je ne pouvais pas la laisser passer, et en souvenir de tout ce que j’avais entrepris avant, je me suis lancée avec beaucoup d’espoir, de crainte, et de médicaments, et surtout en y pensant le moins possible.
Je ne suis toujours pas à Bruxelles. J’ai travaillé 2 jours dans leur boutique parisienne pour apprendre et prendre les choses en mains, la première journée c’est bien passée, la deuxième beaucoup moins, beaucoup de ventes, de monde, de bruit, je me suis mise en retrait pour observer le fonctionnement, ils attendaient que je m’impose.
Je les ai déçu, j’ai pris le temps de leur expliquer mes maladresses, j’essaye de les remettre en confiance, parce que je sais que je peux y arriver, qu’il faut que je me batte pour ce changement de vie, je décrypte toutes mes actions pour leur en donner une lecture compréhensible. Mais comment expliquer qu’un laps de temps conséquent s’écoule entre l’observation, l’analyse, la réflexion et l’action ? Comment expliquer que mon cerveau n’est plus aussi flexible ? On ne peut pas dire ces choses là à un employeur.
La première fois que je les ai rencontrés, je leur ai dit que j’avais quelques rendez-vous médicaux de prévus dans l’année, de simples check-up, suite à un accident qui avait eu lieu et dont je m’étais remise. C’est tout. Je n’ai pas donné de détails, je n’ai rien dit, et je n’ai pas non plus remplie les papiers pour avoir un statut d’handicapée.
Je ne voulais pas leur faire peur, je voulais me remettre en condition, avancer sans regarder derrière.
Mais je n’ai pas eu suffisamment de temps pour être prête, quelqu’un de normalement constitué aurait réussi. J’aurais réussi il y a 2 ans.
Et maintenant ? J’attends qu’ils me rappellent à la fin de la semaine, que l’on discute. Je me raisonne, me rend forte, me trouve un tas de bonnes raisons d’y croire encore et de trouver les arguments qui feront mouche. Ne pas céder au stress, aux angoisses qui déclenchent les maux de tête.
Faire semblant d’être forte et d’avoir de l’assurance.
Si ça ne marche pas, que va-t-il se passer ? Que pourrais-je faire d’utile pour moi et pour les autres ? J’ai peur d’une brusque dépression, j’espère aller de l’avant.
Depuis trois semaines j’adopte cette nouvelle vie qui ne doit pas tenir compte de l’accident. C’est un grand pas pour moi, mais si ça ne marche pas, ce sera très dur d’admettre encore une fois que cet échec supplémentaire est lié à ça. J’ai tellement envie d’être forte, et je me sens amputée d’une partie de moi-même.
Au fond je rêve peut-être d'un monde auquel je n'ai plus accès.
Ma vie professionnelle et ma vie affective se sont sclérosées il y a un an et demi, mon trauma crânien a achevé de tout saccager.
Je suis fatiguée d’avoir écrit autant, tu dois être fatiguée de m’avoir lu. Merci.
Emilie
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